Identification des fibres textiles avant ennoblissement
Par Aziz Lallam – Abdelaziz.lallam@uha.fr
Introduction
Par un passé non lointain, l’ennoblisseur s’appuyait essentiellement sur l’approvisionnement local en matières premières, sa tâche était plus ou moins facile car il connaissait parfaitement les caractéristiques techniques des produits à traiter. Il pouvait, cependant, se contentait d’un savoir-faire, acquis par l’expérience, pour produire des articles textiles de qualité. Mais dans un contexte économique mondial de libre échange, l’approvisionnement en textiles écrus s’est diversifié sans être accompagné de données techniques suffisantes sur les caractéristiques des matériaux fournis. Cette situation peut, dans une certaine mesure, compliquer la tâche de l’ennoblisseur. Dans ce cas, le seul savoir- faire devient insuffisant par rapport aux exigences du marché. En effet, la production de qualité, conforme aux besoins des consommateurs, requière, outre que le savoir-faire, des compétences scientifiques et techniques multidisciplinaires allant des propriétés physico-mécaniques aux caractéristiques chimiques des matériaux textiles.
L’ennoblisseur d’aujourd’hui maîtrise les technologies nécessaires à la production et à l’amélioration des produits textiles mais manque, parfois, de recul sur les aspects relatifs à la science des matériaux qui lui permettent de s’affranchir de pesanteur de l’empirisme qui règne dans cette discipline depuis longtemps. La connaissance de la physique et de la chimie des fibres qui constituent les écrus à ennoblir est fondamentale pour adapter les modes opératoires de production aux types de tissu à ennoblir.
Pour ce faire, l’ennoblisseur doit identifier avec précision : la nature, la composition chimique, qualitative et quantitative et les caractéristiques physico-chimiques des tissus écrus concernés par le traitement.
Sans rentrer dans les détails de la classification traditionnelle des fibres textiles, on peut distinguer, de façon très sommaire et simplifiée, deux grandes classes de fibres :
- Les fibres organiques : végétales, protéiniques, synthétiques et artificielles
- Les fibres non organiques : verre, métalliques, carbone etc.
La première classe est naturellement plus large et plus riche que la seconde. Le processus d’ennoblissement dans chaque situation doit obéir à un protocole expérimental précis dans la chaîne des traitements. Ce processus englobe les travaux de prétraitements tels que le désencollage, le débouillissage, le blanchiment et autres opérations, teinture, impression et apprêts chimiques et mécaniques.
Il est donc très clair que la qualité des produits finis repose, d’une part, sur la connaissance de la nature des fibres qui composent le textile à traiter et sur la maîtrise des pré-traitements d’ennoblissement des tissus écrus, d’autre part.
De manière générale, les entreprises textiles spécialisées dans le domaine de l’ennoblissement, ne possèdent pas nécessairement, en interne, de laboratoire d’analyse permettant l’identification complète des articles textiles avant de procéder aux opérations d’ennoblissement à proprement parler. Pour ce faire, certaines entreprises s’orientent vers des laboratoires appartenant aux IFTH ou à des laboratoires d’écoles d’ingénieurs spécialisés dans le domaine du textile. A titre d’exemple, on peut citer le Laboratoire de Physique et Mécanique Textile de ENSISA de Mulhouse et le GEMTEX de l’ENSAIT de Roubaix.
Dans cet article, nous proposons aux ennoblisseurs, non équipés d’outils sophistiqués de laboratoire, une démarche simple qui leur permet de réaliser la plupart des opérations nécessaires à l’identification de leurs articles avant ennoblissement ou de produits déjà ennoblis. Cette démarche nécessite l’utilisation d’un minimum d’outils et de produits chimiques indispensables pour les travaux de routine dans les ateliers d’ennoblissement tels que bec Bunsen, briquet, pinces en bois, pinces brucelles, solvants, détergent etc. La démarche opératoire sera présentée en deux parties. Dans un premier temps, nous décrivons une méthode d’analyse et d’identification basée sur le test de la flamme. La deuxième méthode, identification par la voie chimique, fera l’objet d’un second article qui paraitra dans la Newsletter de l’ACIT. Le test de la flamme peut être insuffisant pour identifier certaines fibres notamment dans le cas des mélanges de fibres ; il doit être complété par le procédé chimique, c’est-à-dire par la méthode de la solubilisation sélective. Nous décrivons ce complément d’analyse dans notre prochain article de la Newsletter.
Modes opératoires
Préparation des éprouvettes pour l’analyse
Avant toute analyse, l’éprouvette doit être décomposée par séparation des différents éléments qui la constituent car celle-ci peut comporter des matières non fibreuses pouvant fausser les résultats de l’analyse. Ceci est d’autant plus vrai que l’analyse est quantitative. Après une préparation adéquate des éprouvettes, il est possible de pratiquer deux types de tests, l’un est physique, développé dans cet article, et l’autre chimique que l’on développera dans le prochain article dans la rubrique « Guide de l’ennoblisseur ».
Présentation succincte des méthodes d’analyse et d’identification
- Comportement à la flamme, l’échantillon à analyser est soumis à une flamme d’un bec Bunsen. Si l’échantillon brûle ou fond ou encore se sublime. Il dégagera des fumées et des odeurs spécifiques d’un type de fibres données, l’échantillon est alors de nature organique. Si rien ne se produit, l’expérimentateur conclura que l’échantillon est inorganique.
- Identification aux solvants : ce test consiste à réaliser des solubilisations sélectives des échantillons dans des solvants adéquats. Le solvant sélectif solubilise uniquement une seule classe de fibres sans la dégrader. Par exemple, la cupri-éthylène diamine solubilise le coton mais pas la laine. L’hydroxyde de potassium solubilise la laine mais pas le coton.
Un troisième test de type optique, facultatif, peut être également pratiqué. Il s’agit d’examen au microscope ou à la limite avec une loupe binoculaire peut renseigner efficacement sur la géométrie des fibres.
Principaux comportements à la flamme-Quelques observations.
Observation 1 – l’échantillon ne fond pas ne jaunit pas et devient incandescent lorsqu’il est retiré de la flamme, le tissu est en amiante sachant que ces fibres ne sont plus employées depuis longtemps car l’amiante est cancérogène. Si le tissu fini par fondre à haute température, on peut conclure qu’il s’agit d’un tissu de verre. Certains tissus jaunissent quelquefois car ils sont encollés
Observation 2- l’échantillon brûle lentement et s’éteint spontanément lorsqu’il est retiré de la flamme en dégageant une odeur de cheveu brûlé. Ce sont les caractéristiques des fibres protéiniques. Si l’hypothèse porte sur la laine, le résultat du test peut être confirmé par un examen au microscope, la laine présente des écailles en surface.
Observation 3- L’échantillon brûle, fond et s’éteint dès qu’on le retire de la flamme. Les fumés n’ont pas d’odeur caractéristiques, il s’agit du polyester.
Observation 4- L’échantillon brûle lentement même hors flamme. Il émet des fumées blanches et une odeur de céleri caractéristique du polyamide
Observation 5– l’échantillon brûle franchement dans et hors flamme et dégage une odeur de papier brûlé. Ces observations ne sont exhaustives mais ne concernent que quelques fibres des connues.
Le tableau ci-dessous rassemble la plupart des fibres textiles et leur comportement vis-à-vis de la chaleur et la combustion.
Identification des fibres textiles par le test de la flamme
| Nature des fibres textiles | A l’approche de la flamme | Dans la flamme | Retiré de la flamme | Aspect des cendres |
| Laine et autres fibres protéiniques | Brûle lentement | S’éteint –odeur de corne brûlée | Boules noires friables | |
| Soie | Brûle lentement | S’éteint –odeur de corne brûlée | Boules noires friables | |
| Coton | Brûle rapidement | Continue à brûler, odeur de papier brûlé | Cendres blanches friables | |
| Cellulose régénérée | Brûle rapidement | Continue à brûler, odeur de papier brûlé | Cendres blanches friables | |
| Acétate et tri-acétate de cellulose | Commence à fondre | Brûle en fondant | Continue à brûler en fondant- fumées légèrement âcres ou acides | Boules noires dures |
| Les polyamides : PA 6, 6.6 et 11 | Fondent et se rétractent | Brûlent lentement avec fusion | Flammes moyennes s’éteignant rapidement- fumées blanches –odeur de céleri pour le PA6 et de chandelle pour le PA11 | Boules dures noirâtre |
| Polyester -PET | Fondent et se rétractent | Brûlent lentement avec fusion | S’éteint | Boules dures brunes ou noirâtres |
| Elastofibres | Commence à fondre | Brûlent avec fusion | Continue à brûler en fondant odeur aromatique | Centres noires irrégulières et boursouflées |
| Fibres acryliques | Commencent à fondre | Brûlent avec fusion | Continuent à brûler- odeur de l’amande amère | Centres irrégulières noires et dures |
| Fibres de Modacrylique | Commencent à fondre | Brûlent lentement avec fusion (*) | S’éteint – odeur de l’amande amère | Cendre noires gris-noires irrégulières et gouttelettes arrondies |
| Chlorofibres –Chlorure de vinyle | Se rétractent et fuit la flamme | Se décomposent lentement sans aucune inflammation en dégageant une odeur piquante (*) | La décomposition s’arrête instantanément | Boules noires irrégulières |
| Polychlorure devinylidène et de vinyle | Se rétractent et fuit la flamme | Brûlent lentement et très difficilement sans détachement de gouttelettes – odeur piquante (*) | La décomposition s’arrête instantanément | Boules noires irrégulières |
| Vinylal | Se rétractent et fuit la flamme | Brûlent avec fusion | Continue à brûler après fusion –odeur âcre | Boules noires |
| Polyoléfines – PP PE | Se rétractent et fondent en fuyant la flamme | Brûlent après fusion | Continuent à brûler mais s’éteignent au bout de peu temps | Boules brunes et noirâtres |
| Fibres de verre | Fondent sans brûler | Aucune combustion- aucune odeur | Verre fondu |
(*) Une méthode simple pour reconnaitre les fibres chlorées consiste à faire rougir dans la flamme l’extrémité d’un fil de cuivre, la plonger rapidement dans l’échantillon à analyser pour quelle s’englue de la fibre fondue et remettre dans la flamme, dans le cas où il s’agit de fibres chlorées, chlorofibre ou modacrylique contenant une certaine quantité de polymères chlorés, on voit jaillir une flamme verte.