Par Antoine COSNE, doctorant CIFRE chez DECATHLON sous la tutelle de Marie STEPHAN, et au laboratoire du GEMTEX encadré par Nemeshwaree MASSIKA BEHARY et Anne PERWUELZ

De nombreuses études montrent que les matières plastiques sont sources de pollution pour les océans. Chaque année, 415 millions de tonnes MT de plastiques sont produites par l’industrie et 3%, soit environ 11 MT/an, se retrouvent relarguées dans les océans [Peano et al, 2020]. Cette pollution s’exprime sous deux formes : les déchets macroplastiques comme les emballages, et les déchets microplastiques de taille inférieure à 5 mm. Cette deuxième catégorie est divisée en deux groupes : les microplastiques primaires et les microplastiques secondaires [Boucher & Friot, 2017]. Les microplastiques primaires arrivent dans l’environnement directement avec une taille inférieure à 5 mm, c’est le cas notamment des fragments de fibres qui se détachent des textiles. Les microplastiques secondaires quant à eux sont issus de la lente dégradation des déchets macroplastiques déjà présents dans l’océan. La matière plastique n’est pas biodégradable, cela signifie qu’elle est persistante dans l’environnement et que sa dégradation prend du temps. Cette dégradation du plastique en microparticules est qualifiée de biotique, lorsqu’elle a lieu par vieillissement naturel du polymère, ou bien d’abiotique, quand la dégradation est accélérée par l’environnement du déchet macroplastique avec la température de l’océan, les réactions chimiques avec le milieu salin, ou encore les contraintes mécaniques des vagues [Deshoulles, 2020]. Toutes origines confondues, les microplastiques secondaires sont plus nombreux dans les océans, ils sont estimés entre 4,8 et 12,7 Mt/an [Jambeck et al, 2015] tandis que les microplastiques primaires ont un relargage dans les océans estimé entre 0,8 et 2,5 Mt/an selon les scénarios [Boucher & Friot, 2017]. Leurs origines sont diverses, la principale source d’émission est représentée par les textiles qui produisent 35% des microplastiques primaires présents dans les océans, devant l’abrasion des pneus (28%) et la pollution des villes (24%) notamment [Boucher & Friot, 2017]. Les textiles seraient donc responsables de 525 Kt/an de microplastiques primaires dans les océans. Des études plus récentes centralisées dans le travail du Plastic Footprint Network PFN ont mis à jour ces valeurs. La pollution microplastique dans les océans par les peintures des coques de bateaux ainsi que par les granulés de plastiques produits en industrie ont été réévalué à la hausse, ce qui baisse la proportion de fibres microplastiques à 2,3% et leur masse totale à 88 Kt/an [PFN, 2023].

Depuis le XXème siècle, l’émergence des matières plastiques est grandissante partout dans le monde. L’industrie textile ne déroge pas à la règle en utilisant la matière plastique pour fabriquer des textiles synthétiques. Ils sont utilisés pour de nombreuses applications : dans le sport pour leur résistance et leur séchage rapide, dans le médical pour les consommables, dans l’habillement pour leur bas coût, et dans les textiles techniques pour leur versatilité et leur capacité de mise en œuvre. Le principal fer de lance de la famille des plastiques dans le textile est le polyester. A lui seul, il représente 54% du volume du marché des matières textiles en 2021 devant le coton deuxième avec 22% [Opperskalski et al, 2022]. Or, le succès de cette matière pose de nombreux problèmes environnementaux. En particulier, les textiles synthétiques produisent des microparticules de plastiques tout au long du cycle de vie des vêtements, c’est-à-dire dès les étapes de leur production, jusqu’à leur fin de vie, en passant par leur usage au porter et lors du lavage en machine à laver [First Sentier MUFG, 2022]. Ces microparticules de plastique d’origine textile sont des fragments de fibres synthétiques appelées fibres microplastiques FMP. Cette pollution microplastique non-intentionnelle atteint l’environnement par plusieurs passerelles comme le montre la Figure 2 [First Sentier MUFG, 2022] [Zhang et al., 2022]. Cela peut être par l’air, par exemple lors de la production des textiles notamment avec l’abrasion due aux fortes vitesses des machines de filature, de tissage, ou de tricotage. L’eau est également une voie d’accès des microplastiques aux océans, en production dans les bains de teinture mais aussi dans les machines à laver industrielles et domestiques. Ces eaux de lavages rejoignent les eaux usées et sont traitées dans les stations d’épuration qui bloquent plus de 98% des microplastiques [Zambrano et al, 2019]. Ces fibres microplastiques stoppées par les stations d’épuration s’agglomèrent avec d’autres impuretés dans les boues qui peuvent être ensuite rejetées dans les champs pour l’agriculture [Belzagui et al, 2020]. Les fibres microplastiques sont donc également présentes dans les sols. Enfin, le traitement des eaux usées n’est pas effectif partout dans le monde, de même pour l’utilisation des machines à laver électriques. Il faut savoir que 50% de la population mondiale lave ces vêtements à la main directement dans l’eau des rivières. Cette pratique relargue autant de fibres microplastiques que le lavage en machine à laver [Stanton et al, 2023]. Ainsi, les fibres microplastiques s’échappent des étoffes textiles et se propagent dans l’eau, dans l’air, et dans les sols. Ce phénomène correspond au relargage de fibres microplastiques et cause de véritables problèmes environnementaux particulièrement sur la santé animale et humaine.

Passerelles des FMP vers l'environnement

Figure 2 – Les différentes passerelles des FMP vers l’environnement. [First Sentier MUFG, 2022]

Une fois dans l’environnement, les fibres microplastiques sont polluantes pour plusieurs raisons. Leurs propriétés plastiques les rendent persistantes dans l’environnement et elles transportent avec elles les traitements chimiques utilisés dans les procédés de transformation textile (agents de teinture, de traitements chimiques, de finitions, de lubrifications). De plus, les microplastiques adsorbent d’autres polluants comme les métaux lourds et les agents pathogènes ce qui augmente leur toxicité [Kedzierski et al, 2018]. Ainsi elles perturbent la flore mais aussi la faune. En fonction du polymère, mais aussi de la taille et de la forme des fibres microplastiques, leurs effets sur la biodiversité sont variables [Weis and De Falco, 2022]. Le vent et les courants marins peuvent les transporter sur plusieurs dizaines de kilomètres [Xiao et al, 2023]. De plus, elles sont confondues avec de la nourriture par de petits organismes vivants comme le zooplancton, qui sont à la base de la chaîne alimentaire [Botterell et al, 2019]. Les fibres microplastiques posent donc de sérieux problèmes environnementaux et de nombreuses recherches sont en cours pour comprendre les impacts de cette pollution microplastiques d’origine textile et de leur toxicité sur la santé humaine.

Aujourd’hui des solutions existent pour lutter contre cette pollution. La première option est de mettre un filtre sur les machines à laver afin de récolter les fragments de fibres des eaux de lavage et les empêcher de partir dans les eaux usées. La seconde option consiste à diminuer l’abrasion des textiles lors du lavage en machine à laver, notamment en diminuant la température de lavage et en adaptant la quantité de détergent [De Falco et al, 2018] ou encore utilisant un sac ou des balles de lavage [Belzagui et Guttiérrez-Bouzán, 2022]. Ces solutions accessibles au consommateur sont considérées comme les premières pièces du puzzle mais sont insuffisantes. Avec le constat que les premiers lavages sont les plus relargants en fibres microplastiques [Hazlehurst et al, 2023], l’idée de réaliser le lavage des textiles chez les industriels avant de les commercialiser est une piste de solution souvent évoquée. Cela permettrait d’avoir une meilleure gestion des effluents au sein de chaque usine de fabrication textile plutôt que de répartir les émissions de fibres microplastiques dans chaque ménage [Muller et al, 2023]. Certaines entreprises envisagent d’accélérer la dégradabilité des matières synthétiques grâce à l’ajout d’additifs ou d’enzymes qui ne s’activent que dans un environnement particulier [Yarnaway de ANTEX, CiCLO technology de Intrinsic Advanced Materials (IAM), ou Sensil Biocare de NILIT]. La législation se met également en place pour sensibiliser et limiter le relargage de FMP en avertissant les consommateurs, notamment en France [Loi AGEC, 2023], mais également en Europe. La pollution microplastique par l’industrie textile est donc un sujet vaste qui concerne les usines de fabrication textile, les entreprises de conception des textiles, mais également des acteurs plus éloignés comme les fabricants de machines à laver ou encore les stations d’épurations. Il est intéressant de voir que chacun travaille à apporter sa solution face à la pollution de fibres microplastiques. En attendant le développement de ces solutions, The Microfibre Consortium TMC, ONG qui identifie et diffuse les recherches scientifiques pour sensibiliser l’industrie textile à la pollution des fragments de fibres, rappelle qu’il faut combler le manque de connaissances sur le sujet en faisant de nombreux tests pour quantifier le relargage des différentes familles de produits textiles. L’objectif est de pouvoir réaliser des analyses statistiques pour comprendre les paramètres qui influencent le relargage des composants textiles. Chaque étape de production peut être la cause de génération de fragments de fibres. La qualité du polymère et des conditions de filage, le type de filature, de tissage et de tricotage, ou encore les finitions mécaniques et chimiques, influencent potentiellement la formation de ces microplastiques. Ce relargage issu de l’abrasion des textiles intervient tout au long de la chaîne de fabrication textile et peut-être minimiser selon en adoptant des bonnes pratiques pour diminuer la dégradation de la matière textile [Mermaids and Life, 2018] [TMC & ZDHC, 2023]. Il est donc bénéfique d’identifier les structures de fils et d’étoffes adaptées dès les étapes de conception afin de concevoir des textiles plus résistants à l’abrasion, ainsi d’éviter au maximum la fragmentation, et donc de minimiser le relargage des fibres microplastiques dans l’environnement [Cosne et al, 2022].

Références :