N. BEHARY (massika.behary@ensait.fr),  A. PERWUELZ (anne.perwuelz@ensait.fr)

Enseignants Chercheurs à l’ENSAIT/GEMTEX, 2 allée Louise et Victor Champier, Roubaix, -Université de Lille- France

L’indigo naturel est extrait de certaines plantes. Aux Indes, et déjà 2000 ans avant J.-C, on extrayait l’indigo de l’arbuste Indigofera tinctoria qui contient de l’indican. En Europe, on extrayait l’indigo de la plante de pastel ou Isatis tinctoria, qui contient de l’isatane B.  Aujourd’hui des fournisseurs français commercialisent l’indigo provenant de plusieurs régions et plantes : 1.  Indigofera tinctoria L. (Inde) ;  Indigofera suffruticosa produit en Amérique centrale,  Persicaria tinctoria (Aiton) Spach = Polygonum tinctorium Aiton des Cultures biologiques et fabrication artisanale en Provence ;  Isatis tinctoria L. de Guadeloupe.

L’indigo synthétique est le principal utilisé aujourd’hui. Après avoir étudié l’indigo naturel, le chimiste allemand Adolf von Baeyer le synthétisa par voie chimique et il obtint en 1905 le prix Nobel de chimie pour cette découverte.

Fabrication de l’indigo

La première étape consiste à broyer les feuilles d’indigo puis les faire macérer afin de faire exploser les vacuoles et les chloroplastes des feuilles, qui contiennent respectivement l’indole et une enzyme. L’indole (incolore) en contact de l’enzyme va se transformer en indoxyle. Puis, l’indoxyle se dimérise en leuco indigo (jaune) qui s’oxyde pour former de l’indigo bleu (insoluble) en présence d’oxygène.

L’indirubine qui est un colorant rouge peut être aussi formé sous certaines conditions (pH, température, oxygène) par l’isomérisation de ces molécules (Figure 1).

Figure 1a : Feuilles d’indigotier de différentes espèces, et la structure cellulaire des feuilles.
Figure 1b : La formation du bleu d’indigo et de l’indirubine (rouge) à partir des précurseurs et enzyme dans la cellule des feuilles d’indigotier

Teinture à l’indigo

L’indigo bleu est un colorant de cuve insoluble dans l’eau sous sa forme oxydée. Il se caractérise par d’excellente solidité au lavage et de très bonne résistance à la lumière. La teinture en colorant de cuve, en l’occurrence, l’indigo bleu, doit être conduite dans milieu basique à pH compris entre 10 et 12, en utilisant de l’hydroxyde de sodium et l’hydrosulfite de sodium en tant qu’agent réducteur. La forme réduite de l’indigo, qualifiée de leuco-dérivé de l’indigo, est hydrosoluble présente un virage de couleur tendant vers le jaune. Si l’on considère que la teinture selon la méthode classique est considérée comme étant relativement polluante, on pourrait s’orienter vers une méthode plus écologique qui consiste à utiliser le fructose comme agent réducteur et la chaux éteinte pour obtenir le milieu alcalin adapté, et à 50°C. Dans ces conditions expérimentales de teinture   on pourrait facilement obtenir un joli bleu sur les fibres cellulosiques (coton, viscose), les fibres protéiniques (laine, soie) les polyamides, et l’acétate (voir figure 5). D’autres chercheurs ont montré que le polyester se teint aussi avec l’indigo à plus haute température, avec un léger virage de nuance (1).  

Ces derniers temps il y a des volontés d’utiliser l’indigo naturel au niveau industriel, au Japon, aux Etats Unis, etc. En industrie, pour teindre les tissus de pantalon en jeans, les fils de chaîne en coton ourdis sont imprégnés dans 10 à 15 bains successifs de foulardage avec passage intermédiaire à l’air libre pour bien fixer l’indigo. Les quantités d’eau utilisées sont très élevées, environ 20 litres d’eau par mètre de tissu. 

Des méthodes plus écologiques sont en cours de développement afin de réduire les impacts liés à ce procédé de teinture. Un exemple est le procédé électrochimique -Smart-Indigo™ qui utilise la réduction électrochimique pour optimiser la teinture du denim et réduire les impacts environnementaux (2). Indigowood par Wangler, utilise les procédés mousse (3) alors que l’utilisation du CO2 supercritique est en cours d’étude (4). Dyepro technology by Calik Denim (5) travaille sur un nouveau procédé sans eau pour teindre le denim mais la solution semble encore être confidentielle.

Et si on teignait directement avec les feuilles broyées d’indigo ?

De manière artisanale, il est aussi possible de teindre les textiles avec des feuilles broyées d’indigo. Des pratiques ancestrales l’utilisaient pour teindre les cheveux et aujourd’hui il y a un retour de cette pratique. La feuille d’indigotier Indigofera tinctoria est très riche en acide aminés et en vitamines, et peut fournir les 3 colorants de couleurs primaires : des colorants jaunâtres de type flavonoïdes et les colorants bleu (indigotine) et rouge (indiburine) qui sont formés par réaction enzymatique en présence d’eau. Ainsi lorsque qu’on teint des fibres naturelles ou les cheveux en milieu aqueux (6), des nuances de gris ou une coloration noire peut être obtenue à la température ambiante sans rajout d’éléments chimiques (figure 5). Avec des variations de pH et de température, on obtient des nuances variables (voir cas de la soie (7) dans la figure 2).

Les extraits de feuilles d’indigo possèdent des propriétés antimicrobiennes (8) et donc la teinture avec cet extrait produit des textiles antibactériens. Au japon des masques antibactériens ont été développés à partir de la teinture avec l’indigo naturel (9).

Figure 2 : Fibres textiles teintes avec le bleu d’indigo ou les feuilles broyés d’indigotier

Indigo/pigment issu des mayas

Des pigments d’indigo ont été synthétisés par différentes civilisations. Ces pigments servaient à peindre des fresques et à décorer des poteries, des statues, des masques, etc. Les couleurs ont traversé les siècles en conservant tout leur éclat. L’incroyable stabilité du bleu Maya (figure 3a) s’explique par le confinement des molécules d’indigo au sein des canaux d’une argile, par un traitement thermique (10).

Des techniques spectroscopiques ont permis d’établir que ce pigment est constitué de trois ingrédients : un colorant végétal, une argile et une résine. Le colorant est l’indigo, extrait des feuilles de la plante Indigofera suffruticosa. L’argile utilisée est la palygorskite : il s’agit d’un silicate de magnésium et d’aluminium peu courant qui, à la différence de la plupart des argiles, possède des canaux dans lesquels peuvent s’insérer des molécules d’indigo (figure 3b). Au Mexique, cette argile est extraite des sols du royaume Maya. Le troisième ingrédient est la résine de copal, utilisée comme encens lors de rituels religieux, donne de l’ambre en durcissant. Le bleu Maya est donc un précurseur des matériaux que l’on dénomme aujourd’hui hybrides, c’est-à-dire constitués de composés organiques et inorganiques. C’est lors de sa thèse que Sonia Ovarlez, aujourd’hui chimiste et administratrice du Centre Français de la Couleur, a pu déceler le secret de ce pigment basé sur la nanotechnologie (11).

Le pigment « bleu Maya », aujourd’hui commercialisé par Pigm’Azur est intégré dans les peintures, les bétons, les cosmétiques et les produits ménagers. Pigm’Azur ne se contente pas du bleu. L’entreprise niçoise a d’ores et déjà lancé le jaune citron ou le rouge bougainvillier, toujours inspirés des mythiques Mayas (14).

Le confinement d’un ou de plusieurs colorants naturels (indigo, curcumine, la garance etc.) dans un matériau hybride, permet d’obtenir une large palette de couleurs de pigments, résistant aux variations de pH, de température et au rayonnement UV

Figure 3a : Les fresques Maya teint avec le pigment bleu d’indigo(12)
Figure 3b : L’argile utilisée est la palygorskite, un silicate qui possède des canaux dans lesquels peuvent s’insérer des molécules d’indigo (13)

1-K ; Kunttou, Dyeing polyester Fabrics with Indigo, Textile Research Journal, Volume 75(2); 5-Jul-2016
2- https://www.youtube.com/watch?v=BfqD_QkdGfw
3-https://www.fibre2fashion.com/news/textile-news/foam-dyeing-technology-set-to-transform-denim-industry-229142-newsdetails.htm)
4- T. A. Elmaaty et al. Pilot scale water free dyeing of pure cotton under supercritical carbon dioxide, Carbohydrate Polymer Technologies and Applications, Volume 1, 25 December 2020, 100010
5-(https://www.youtube.com/watch?v=EXVlaDmkp74),
6- Alagbe, J.O Chemical evaluation of proximate, vitamin and amino acid profile of leaf, stem bark and root of indigofera tinctoria, International Journal on Integrated Education, Volume 3, Issue X, October 2020
7- Wansong Yoo⋅Cheunsoon Ahn, Dyeing Behavior of Silk Dyed with Indigo Leaf Powder Using Reduction and Nonreduction Dyeing and Its Relationship with the Amount of Indigotin and Indirubin Adsorbed in Silk, Journal of the Korean Society of Clothing and Textiles
Vol. 43, No. 5 (2019) p.753~767, doi.org/10.5850/JKSCT.2019.43.5.753
8- Yang Qi-yue, Zhang Ting, He Ya-nan, Huang Sheng-jie, Deng Xuan, Han Li & Xie Chun-guang, From natural dye to herbal medicine: a systematic review of chemical constituents, pharmacological effects and clinical applications of indigo naturalis, Chinese Medicine volume 15, Article number: 127 (2020)
9- https://mainichi.jp/english/articles/20200620/p2a/00m/0bu/023000c
10 – (extrait de https://scilogs.fr/questions-de-couleurs/le-bleu-maya-resiste-bien-a-lepreuve-du-temps-grace-au-confinement/)
11- https://www.dailymotion.com/video/x6q601i
12- M. Sanchez del Rio et al., «The Maya Blue pigment », In : Developments in Palygorskite-Sepiolite Research, Volume 3 : A New Outlook on these Nanomaterials, Elsevier, 2011, chapitre 1
13- A. Fenster, « The mystery of Maya blue finally solved », Office for science and society, 2017
14 (https://www.20minutes.fr/nice/1990307-20170105-nice-apres-bleu-klein-voici-bleu-maya-cree-nicois)